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à moins d’être bâtis et de pierre et de chaux ;
910 ils percent donc et traversent le mur,
et quelques-uns s’enfoncent dans la terre,
— ainsi avons-nous parfois perdu maintes livres —
et certains se répandent par tout le plancher,
certains sautent jusqu’au toit ; sans nul doute,
bien que le démon ne se montre pas à nos yeux,
je crois bien qu’il est avec nous, ce mauvais-là !
Dedans l’enfer où il est le maître et seigneur,
il n’est pas plus de douleur, ni de rancœur, ni de colère.
920 Lorsque notre pot est brisé, comme j’ai dit,
chacun grommelle et se tient mal payé.
L’un dit que c’était en raison du feu ;
l’autre dit non, que cela dépend du souffleur,
(et alors j’avais peur, car c’était mon office).
« Fi ! (dit le tiers), vous êtes ignorants et sots ;
il[1] n’a pas été trempé comme il devait l’être ! »
« Non (dit le quatrième), taisez-vous et écoutez-moi ;
c’est que notre feu n’était pas fait de hêtre,
voilà la raison, la seule, sur mes écus ! »
930 Moi, je ne saurais dire quelle était la cause,
mais je sais qu’il y a grand débat entre nous.
« Allons ! (dit mon maître), il n’y a plus rien à faire,
de ces périls dorénavant je me garderai ;
je suis bien sûr que le pot était fêlé.
Quoi qu’il en soit, ne soyez point abasourdis ;
comme c’est l’usage, qu’on balaie aussitôt le plancher ;
remettez-vous le cœur, soyez joyeux et contents ! »
Tous les débris sont balayés, mis en un tas ;
sur le plancher on jette une toile,
940 et tous les débris, mis dans un tamis,
sont triés et passés maintes fois.
« Pardieu ! (dit l’un), un peu de notre métal
est encore là, si nous n’avons pas tout !
Bien que l’affaire ait manqué cette fois,
une autre fois elle peut réussir,
il faut bien aventurer notre avoir ;
un marchand ne saurait, pardieu ! toujours demeurer,

  1. Il, c’est-à-dire le métal.