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avant ces poudres que je viens de dire,
le tout bien recouvert d’une lame de verre,
et moult autres choses qu’il y avait là ?
ni que le pot et le verre sont clos de mastic
pour que de l’air rien ne passe dehors ?
Point ne parlerai du feu modéré, et du vif aussi,
que l’on faisait, ni du souci et de la peine
770 que nous prenions pour sublimer[1] nos matières,
et pour amalgamer, pour calciner
le vif-argent, que dénommons Mercure cru !
Malgré tous nos tours nous ne pouvons aboutir.
Notre orpiment et Mercure sublimé,
notre litharge aussi broyée sûr le porphyre,
de toutes ces matières un nombre d’onces précis, —
cela ne sert de rien, notre labeur est vain.
Ni non plus l’ascension de nos esprits[2],
ni les matières qui restent au fond,
780 ne peuvent à notre œuvre en rien profiter.
Car tout notre labeur et travail est perdu ;
et toute la dépense, de par tous les diables !
que nous avions risquée, perdue aussi.
Il y a en outre beaucoup d’autres choses,
lesquelles appartiennent à notre métier ;
pourtant ne puis les réciter dans l’ordre,
pour ce que je suis un homme ignorant ;
je les dirai comme elles me viennent en l’esprit,
bien que ne les puisse ranger par espèces :
790 ainsi le bol armoniaque, le vert de Grèce[3] et le borax,
et divers vaisseaux faits de terre et de verre,
nos urinais, nos descensoires[4],
fioles, creusets, sublimatoires,
cucurbites[5] et alambics aussi,
et tant d’autres qui seraient chers au prix d’un poireau.

  1. Sublimer, c’est faire passer la matière à l’état de vapeur à l’aide du feu ; calciner, réduire un métal en oxyde.
  2. De nos esprits, c’est-à-dire de nos gaz ou vapeurs.
  3. Vert de Grèce, forme originale, croit-on, de notre « vert de gris ». Bol armoniaque (d’arménien, d’où auj. ammoniaque) = bol arménien, astringent minéral.
  4. Descensoires, vases employés par les alchimistes pour recueillir les huiles per descensum.
  5. Cucurbites, vases en forme de gourde.