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d’ici jusqu’à la ville de Canterbury,
il pourrait tout net le retourner sens-dessus-dessous,
et le paver entièrement d’argent et d’or. »
Et quand ce valet eut ainsi parlé
à notre hôte : « Benedicite (dit celui-ci),
une chose est pour moi merveille étonnante,
630 puisque ton seigneur est de si haute prudence,
en vertu de quoi les gens lui doivent révérence,
pourquoi de sa dignité fait-il si peu cas ?
Son surtout ne vaut pas un liard
effectivement, pour lui, sur ma vie !
il est tout sale et déchiré aussi.
Pourquoi ton maître est-il si marmiteux, je te prie,
lorsqu’il pourrait s’acheter de meilleurs habits,
si son pouvoir s’accorde à ton discours ?
Dis-moi cela ; dis-le, je t’en supplie ».
640 — « Pourquoi ? (dit le valet) pourquoi ? me demandez-vous ;
Dieu me garde, c’est parce que jamais il ne réussira !
(Mais je ne veux pas avouer tout haut ce que je dis,
aussi tenez le bien secret, je vous en prie).
Il est trop savant, ma foi, je le crois ;
ce qui est à l’excès ne tourne pas
à bien, disent les clercs ; c’est un vice.
C’est en quoi je le tiens pour ignorant et sot,
car quand un homme a trop grand esprit,
souventes fois advient qu’il en mésuse ;
650 ainsi de mon seigneur, ce qui me fait grand deuil.
Dieu corrige le mal ! je n’en puis dire plus. »
— « Ne t’inquiète de cela, bon valet (dit notre hôte) ;
puisque tu connais les talents de ton maître,
dis-nous comment il fait, je t’en prie de tout cœur,
puisqu’il est si habile et si malin.
Or, où habitez-vous, si cela se peut dire ? »
— « Dans les faubourgs d’une ville (dit-il),
tapis en des recoins et culs-de sac,
là où les brigands et voleurs, naturellement,
660 ont leur résidence secrète et peureuse,
en gens qui n’osent point trahir leur présence ;
ainsi vivons nous, s’il faut parler vrai. »
— « Or ça (dit notre hôte), permets encore un mot :