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Conte du Valet[1] du Chanoine.


Prologue du Conte du Valet du Chanoine.


Quand fut finie la vie de sainte Cécile,
avant que nous eussions bien chevauché cinq milles,
à Boghton-sous-Blee nous rattrapa
un homme qui était vêtu de vêtements noirs,
et en dessous portait un blanc surplis.
Sa haquenée qui était tout gris pommelé
560 tant suait que c’était merveilleux à voir ;
on eût dit qu’il avait éperonné trois milles de suite.
Le cheval aussi que montait son valet
tant suait qu’à peine pouvait-il aller.
Autour du poitrail montait haut l’écume ;
l’homme était tacheté d’écume, on eût dit une pie.
Sur sa croupière il avait une besace double,
il semblait porter fort petit bagage.
Le digne homme portait habit d’été léger,
et je commençais à me demander à part moi
570 ce qu’il était, lorsqu’enfin je saisis
que son manteau était cousu au capuchon,
en foi de quoi, quand j’eus bien réfléchi,
je jugeai que c’était quelque chanoine.
Son chapeau lui pendait au dos par un ruban,
car il avait marché plus qu’au trot et au pas ;
il n’avait cessé d’éperonner comme s’il était fou.
Sous son capuchon il avait une feuille de bardane
contre la sueur, et pour garder son chef du chaud.
Mais c’était grande joie de le voir suer !
580 Son front dégouttait comme un alambic,
qui serait rempli de plantain et de pariétaire.
Et quand il fut arrivé, il commença par s’écrier :
« Dieu garde (dit-il), cette joyeuse compagnie !

  1. Ce valet est désigné comme un yeoman (Cf. la note 1 de la page 4).