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La nuit vint et au lit elle dut aller
avec son mari, comme souvent est coutume,
et privément elle lui dit bientôt :
« Ô doux cher époux bien-aimé,
il est un secret, si vous voulez l’entendre,
que bien volontiers je voudrais vous dire,
si vous jurez que vous ne me trahirez pas. »

Valérien lui jura fermement
qu’en aucun cas, quoiqu’il advienne,
150 jamais il ne la trahirait.
Alors pour commencer elle lui dit :
« J’ai un ange qui m’aime,
et qui avec grand amour, que je veille ou dorme,
est prêt toujours à garder mon corps.

Et s’il peut sentir (n’en doutez pas)
que vous me touchez ou aimez pour vilenie,
incontinent il vous tuera sur le fait
et dans votre jeunesse ainsi vous mourrez ;
et si vous me guidez en amour pur,
160 il vous aimera comme moi, pour votre pureté,
et vous montrera sa joie et son éclat. »

Valérien, corrigé comme Dieu voulait,
repartit : « Si tu veux que je me fie à toi,
fais-moi voir cet ange et le contempler ;
et si c’est un ange vrai,
lors je ferai comme tu m’as prié ;
mais si tu aimes un autre homme en vérité,
de cette même épée je vous tuerai tous deux. »

Cécile répondit aussitôt en cette guise :
170 « Il ne tient qu’à vous de voir cet ange :
croyez au Christ et vous baptisez.
Allez-vous en à la voie Appienne (fait-elle)
qui de cette ville n’est loin que de trois milles[1],
et, aux pauvres gens qui y habitent,
parlez-leur tout comme vais vous dire.

  1. Erreur de Chaucer. Le latin dit : « Allez par la voie Appienne jusqu’au troisième mille.... »