ce n’est pas la peine de vous le raconter une autre fois.
Le mari, d’un air joyeux et d’un ton amical,
lui répondit et dit ce que je vais tous exposer.
« N’y a-t-il pas autre chose que ceci, Dorigène ? »
— « Non, non (dit-elle), aussi vrai que Dieu m’aide !
c’est trop déjà, n’était que c’est la volonté de Dieu ! »
— « Allons, ma femme, laissez dormir ce qui est tranquille[1] ;
tout peut aller bien d’aventure, et aujourd’hui même.
Vous devez tenir votre parole, par ma foi !
Car, aussi vrai que Dieu ait pitié de moi,
j’aimerais bien mieux être poignardé,
à cause de l’amour que j’ai pour vous,
que de ne pas vous voir tenir et respecter votre foi.
La foi donnée, c’est la plus haute chose qu’on puisse garder. »
Mais à ces mots, il se mit à éclater en larmes,
et dit : « Je te défends, sous peine de mort,
de jamais, tant qu’il te restera vie ou souffle,
dire à personne cette aventure.
Du mieux que je pourrai, je supporterai mon malheur,
et je ne prendrai point un air affligé
pour que les gens pensent du mal de vous, ou en imaginent. »
Et, incontinent, il appela un écuyer et une servante.
« Partez tout de suite avec Dorigène (dit-il),
et emmenez-la à tel endroit immédiatement ».
Ils prennent congé, et se mettent en route ;
mais ils ne savaient point pourquoi elle s’en allait la.
Il n’avait voulu dire sa pensée à âme qui vive.
Peut-être bon nombre d’entre vous, je pense,
le considéreront comme un insensé en cela,
qu’il veut mettre sa femme en péril.
Écoutez l’histoire, avant de crier contre lui ;
Dorigène pourra avoir meilleure fortune qu’il ne vous semble,
et quand vous aurez entendu l’histoire, jugez[2].
L’écuyer qui s’appelait Aurélius
et qui de Dorigène était si amoureux,
d’aventure se trouva la rencontrer
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