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et dans le sang de leur père ils les firent danser,
sur le pavé, que Dieu les maudisse !
C’est pourquoi ces jeunes filles infortunées, pleines de crainte,
plutôt que de consentir à perdre leur virginité,
s’élancèrent secrètement dans un puits,
et se noyèrent, comme le disent les livres.

Ceux de Messénie firent chercher et amener
1380 de Lacédémone, pareillement, cinquante jeunes filles
sur lesquelles ils voulaient assouvir leur luxure ;
mais il n’y en eut aucune de toute cette troupe
qui ne fût tuée et qui, en bonne intention,
ne choisit plutôt de mourir que de consentir
à se voir ravir de force sa virginité.
Pourquoi alors aurais-je peur de mourir ?
Voyez encore le tyran Aristoclide[1]
qui aimait une jeune fille appelée Stimphalide.
Lorsque son père fut tué, une nuit,
1390 elle s’en alla tout droit au temple de Diane,
et saisit la statue de ses deux mains,
et de cette statue ne voulut jamais se partir.
Et personne ne put lui en détacher les mains,
jusqu’à ce qu’elle fût tuée, juste à cet endroit même.
Or, puisque des jeunes filles ont eu telle horreur
d’être souillées par l’impur plaisir de l’homme,
une épouse devrait bien plutôt se tuer elle-même
que d’être souillée, à ce qu’il me semble.

Que dirai-je de la femme d’Asdrubal,
1400 qui, à Carthage, s’ôta elle-même la vie ?
car, quand elle vit que les Romains avaient conquis la ville,
elle prit tous ses enfants, et elle sauta d’en haut
dans le feu, et elle choisit de mourir
plutôt qu’aucun Romain lui fit vilenie.
Lucrèce ne s’est elle pas tuée elle-même, hélas !
à Rome, lorsqu’elle fut violée par Tarquin,
car il lui parut que c’était une honte
de vivre lorsqu’elle avait perdu son renom.

  1. Tyran d’Orchomène (probablement en Arcadie) ; près d’Orchomène se trouve le district de Stymphale.