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d’un cœur piteux il a commencé sa lamentation
1030 aux dieux, et d’abord au soleil,
disant : « Apollon, dieu et gouverneur
de chaque plante, herbe, arbre et fleur,
qui donnes, d’après ta déclinaison[1],
à chacun d’eux son temps et sa saison,
suivant que ton logis change, haut ou bas[2],
seigneur Phébus, jette un regard de merci
sur moi, malheureux Aurélius, qui suis tout délaissé.
Vois, seigneur ! ma dame a juré ma mort
sans que j’aie commis de crime, à moins que ta bénignité
1040 n’ait quelque pitié de mon cœur blessé à mort ;
car je sais bien, seigneur Phébus, que si vous le voulez
c’est vous qui pouvez, sauf ma dame, m’aider le mieux.
Maintenant permettez que je vous décrive
comment je puis être aidé, et en quelle manière.
Votre sœur bienheureuse, Lucine la brillante,
qui de la mer est la première déesse et reine,
quoique Neptune ait pouvoir divin en la mer,
cependant elle est impératrice au-dessus de lui ;
vous savez bien, seigneur, que, de même que son désir
1050 est d’être vivifiée et éclairée de votre feu,
pour lequel elle vous suit si diligemment,
de même aussi la mer désire naturellement
la suivre, comme celle qui est déesse
à la fois dans la mer et les rivières grandes et petites.
C’est pourquoi, seigneur Phébus, ceci est ma requête,
— fais ce miracle, ou brise-moi le cœur, —
que lors de la prochaine opposition
qui se fera dans le signe du Lion[3],
tu la pries d’envoyer une si grande marée,
1060 que de cinq toises au moins elle recouvre
le plus haut rocher de l’Armorique Bretonne ;

  1. C’est-à-dire, d’après ta hauteur, ta place dans le ciel.
  2. Changement des saisons, suivant l’inclinaison de la terre sur l’écliptique, qui fait paraître le soleil plus haut ou plus bas.
  3. Ceci avait lieu le 6 mai (voir vers 906), le soleil, étant dans le signe du Taureau. Lorsque la lune se trouverait pour la première fois en opposition avec lui, elle serait par conséquent dans le signe du Scorpion. L’auteur veut dire : aussitôt que, dans son opposition, le soleil se trouvera être dans le Lion. À ce moment, d’après les astrologues, le pouvoir du soleil était le plus grand ; de même aussi l’influence des planètes qui se trouvaient dans ce signe.