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630 Et à ces mots la fauconnette se mit à pleurer,
et s’évanouit de nouveau dans le sein de Canacée.
Grand fut le chagrin que pour les maux de l’oiseau
montrèrent Canacée et toutes ses femmes ;
elles ne savaient comment faire pour l’égayer.
Mais Canacée l’emporte à la maison dans les plis de sa robe,
et avec précaution l’enveloppa d’un emplâtre,
là où avec son bec elle s’était blessée.
Maintenant Canacée ne sait faire qu’arracher des herbes
de la terre, et préparer des onguents nouveaux
640 d’herbes précieuses et belles de couleur,
pour en guérir la fauconnette ; du jour à la nuit
elle fait sa besogne et tout ce qu’elle peut.
Et à son chevet elle fit mettre une mue[1]
et en couvrit le dessus de velours bleu[2],
en signe de la fidélité qui se voit chez les femmes.
Et toute en dehors la mue est peinte en vert,
et sur ce vert étaient peints tous ces oiseaux déloyaux
tel que mésanges[3], tiercelets, hiboux,
et en mépris d’eux furent peintes à leur côté
650 des pies, pour leur crier après et pour les houspiller[4].
Je laisse Canacée en train de soigner son oiseau ;
je ne parlerai plus pour l’instant de sa bague,
jusqu’à ce qu’il redevienne à propos de dire
comment la fauconnette recouvra son amant
repentant, ainsi que l’histoire le raconte[5],
par l’entremise de Cambalus,
le fils du roi, dont je vous ai parlé.
Mais maintenant je vais poursuivre mon récit
en parlant d’aventures et de batailles,
660 telles qu’on n’ouit jamais si grandes merveilles.
Et d’abord je vous parlerai de Cambinskan
qui en son temps conquit mainte cité ;

  1. La mue est la cage où le faucon est mis pendant la mue.
  2. Le bleu était le signe de la fidélité, le vert de l’inconstance.
  3. Les données manquent pour déterminer le sens de « tidif ». Ce n’est que sous réserves que M. Skeat propose celui de « tit », i. e. mésange.
  4. Pour comprendre les vers 649-650 il est nécessaire d’admettre qu’ils ont été intervertis, comme le veut Tyrwhitt. Nous traduisons en conséquence.
  5. Peu de doute pour qui est familier avec les contes d’Orient que la fauconnette ne soit quelque princesse métamorphosée par sortilège et à qui l’anneau magique rendra sa forme première.