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Et pour cette raison il me paraît
qu’il me faut arriver à ce nœud
et mettre tôt un terme à cette promenade.
Au milieu d’un arbre tout desséché, blanc comme orale,
410 tandis que Canacée jouait en se promenant,
était perchée une fauconnette bien haut au-dessus de sa tête,
qui d’une voix piteuse tant se mit à crier
que tout le bois résonna de ses cris.
Et si piteusement elle s’était frappée
de ses deux ailes, qu’un sang vermeil
coulait le long de l’arbre où elle était.
Et elle ne cessait de se lamenter et de pousser des cris
et de son bec se piquait de telle façon
qu’il n’est ni tigre, ni bête si cruelle,
420 vivant dedans les bois ou les forêts,
qui n’eussent pleuré, si toutefois ils pouvaient pleurer,
par pitié d’elle, si fort elle criait sans cesse.
Car il n’est homme au monde
(si je savais bien décrire une fauconnette)
qui ait ouï parler d’une pareille en beauté,
aussi bien pour le plumage que pour la délicatesse
de forme, et tout ce qui est à considérer.
Elle semblait fauconnette pèlerine[1]
venue de terres étrangères ; et pendant tout le temps qu’elle resta là,
430 elle défaillit plusieurs fois par manque de sang,
au point de choir presque de l’arbre.
Cette belle fille de roi, Canacée,
qui à son doigt portait l’anneau étrange
grâce auquel elle comprenait parfaitement
tout ce qu’un oiseau en son latin pouvait dire,
et savait à son tour lui répondre en même langage,
a compris ce que disait la fauconnette
et de pitié faillit presque mourir.
Et vers l’arbre elle marche en grand’hâte
440 et regarde l’oiseau pitoyablement,
et tient sa jupe étendue, sachant bien
que sûrement la fauconnette tomberait de la branchette,
quand elle aurait une autre faiblesse, par manque de sang.

  1. On appelait faucon pèlerin une sorte de faucon très appréciée des chasseurs, très apprivoisable, mais dont le nid passait pour introuvable.