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Je vous prie d’abord, en signe d’accord, baisez-moi,
et bien que je sois jaloux, ne m’en blâmez pas.
Vous êtes si profondément gravée dans ma pensée
que quand je considère votre beauté
2180 et en même temps ma déplaisante vieillesse,
je ne puis pas, par ma foi, en dussé-je mourir,
m’abstenir d’être en votre compagnie
tant je vous aime ; cela est hors de doute.
Maintenant baisez-moi, ma femme, et promenons-nous. »
La fraîche Mai, quand elle entendit ces mots,
d’un ton bénin répondit à Janvier,
mais d’abord, et avant tout, elle se mit à pleurer.
« J’ai (dit-elle) une âme à sauver
aussi bien que vous, et aussi mon honneur,
2190 et cette tendre fleur de ma pureté d’épouse
que j’ai remise dans vos mains
alors que le prêtre unit à vous mon corps ;
c’est pourquoi je veux répondre en cette manière,
avec votre permission, mon seigneur si cher :
je prie Dieu que jamais ne luise le jour
où je ne meure, aussi honteusement que femme peut mourir,
si jamais je fais aux miens cette honte,
ou si je salis assez mon nom
pour être déloyale ; et si je commets cette faute,
2200 dépouillez-moi de mes vêtements et mettez-moi dans un sac,
et dans la plus prochaine rivière noyez-moi.
Je suis gente femme et non pas une ribaude.
Pourquoi parlez-vous ainsi ? mais les hommes sont toujours infidèles
et les femmes ont de vous des reproches toujours nouveaux ;
vous n’avez autre contenance, je crois,
que de nous accuser d’infidélité et de honte. »
Et sur ce mot, elle vit où Damien
était assis dans le buisson, et se mit à tousser
et du doigt fit signe
2210 à Damien de grimper dans un arbre
qui était chargé de fruits, et l’y voilà monté ;
car en vérité il comprenait tout le dessein de la belle
et chaque signe qu’elle pouvait faire
bien mieux que Janvier qui était son mari,
car dans une lettre elle lui avait tout dit