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tandis que les vieux garçons chantent « Hélas ! »
quand ils rencontrent quelque adversité
dans leurs amours, qui ne sont que vanité puérile,
et vraiment il convient bien qu’il en soit ainsi,
que les célibataires aient souvent peine et souci ;
sur un sol instable ils bâtissent, et c’est instabilité
1280qu’ils trouvent, alors qu’ils croient trouver sécurité.
Ils vivent comme oiseaux ou comme bêtes,
en liberté, sans nulle contrainte,
tandis qu’un époux dans l’état de mariage
mène vie heureuse et ordonnée,
lié sous le joug du mariage ;
son cœur peut à bon droit déborder de joie et d’allégresse.
Car qui peut être aussi soumis qu’une épouse,
qui est aussi fidèle et si diligent en même temps
à veiller sur lui, malade ou bien portant, que l’est sa femme ?
1290Dans l’heur ou le malheur, elle ne l’abandonne pas.
Elle ne se lasse pas de l’aimer et servir,
fût-il alité, impotent, jusqu’à ce qu’il meure.
Pourtant certains clercs disent qu’il n’en est pas ainsi ;
et de ceux-là Théophraste[1] en est un.
Qu’importe s’il plaît à Théophraste de mentir ?
« Ne prends pas femme (dit-il), pour tenir ta maison ;
pour ce qui est d’épargner dans ton ménage la dépense,
un serviteur fidèle met plus de diligence
à conserver ton bien que ne le fait ta propre femme :
1300car elle réclamera moitié pour elle toute sa vie,
et si tu tombes malade, sur mon salut je te le dis,
tes vrais amis ou un valet fidèle
te soigneront mieux que celle qui guette sans cesse
ton bien, et l’attend depuis de longs jours,
et si tu prends une femme en ta garde,
bien aisément tu peux être cocu. »
Cette sentence, et cent autres choses pires,
cet homme les écrit, Dieu pour cela maudisse ses os !
Mais ne prends pas garde à de telles sottises ;
1310défie Théophraste et crois-moi.
Une femme est un don de Dieu, en vérité ;

</poem>

  1. Liber Aureolus Theophrasti de Nupliis, conservé en partie par saint Jérôme.