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et d’après quoi le pape, comme pour tranquilliser son peuple,
l’inviterait à prendre une autre femme, s’il le voulait.

Je dis qu’il ordonna de forger
une bulle du pape, faisant mention
qu’il était autorisé à quitter sa première femme
de par une dispense papale
et pour arrêter rancunes et dissentiments
entre son peuple et lui : voilà ce que disait la bulle
que l'on a fait publier tout au long.

750Nul ne s’étonnera que le peuple ignorant
ait cru fermement qu’il en était bien ainsi ;
mais, lorsque la nouvelle en parvint à Grisilde,
j’imagine que son cœur en fut fort affligé ;
mais elle, toujours également constante,
se résolut, humble créature,
à endurer toutes les adversités du sort.

Car elle restait soumise au plaisir et désir de celui
à qui elle s’était donnée, corps et âme,
comme à son unique bien sur terre.
760Mais, pour continuer ce récit en peu de mots,
le marquis a en particulier pris soin d’écrire
une lettre où il révèle ses projets,
et l’a secrètement envoyée à Bologne.

Au comte de Panique, qui avait alors
épousé sa sœur, il demandait tout particulièrement
de lui ramener ses deux enfants
en honorable et public appareil.
Une chose surtout il lui demande instamment,
c’est qu’à personne, même à qui le questionnerait,
770il ne dise à qui étaient ces enfants,

mais qu’il réponde que cette jeune fille doit être,
sans plus tarder, mariée au marquis de Saluces.
Et comme le comte en était prié, ainsi fit-il :
au jour fixé il s’est mis en chemin
vers Saluces, avec maints seigneurs
en riche atour, pour conduire cette damoiselle
à côté de laquelle chevauchait son jeune frère.