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du cul du diable s’élancèrent vingt mille frères en troupe,
et dans l’enfer s’éparpillèrent en tout sens,
puis revinrent, aussi vite qu’ils pouvaient aller,
et dans le cul chacun rentra en rampant.
Le diable rabattit sa queue et se tint tout coi.
1700Quand le frère eut considéré tout son soûl
les supplices de ce cruel séjour,
Dieu, dans sa grâce, ramena son esprit
dans son corps et il s’éveilla ;
mais pourtant il en tremblait encore de peur,
tant lui restait toujours en pensée le cul du diable
qui est son héritage par vraie nature.
Dieu vous sauve tous, sauf ce maudit frère !
Je finirai mon prologue de cette manière. »


Ici finit le Prologue du conte du Semoneur.


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*   *


Le Conte du Semoneur[1]


Messires, il est dans le comté d’York, si je ne m’abuse,
1710un pays marécageux qui s’appelle Holderness.
Certain « limitour[2] » le parcourait dans tous les sens
pour y prêcher, et aussi pour y mendier, sans aucun doute.
Or il advint qu’un jour ce frère
avait prêché dans une église à sa manière,
et spécialement, par-dessus toute chose,
excité dans son sermon les fidèles
à faire dire des trentains[3] et à donner, pour l’amour de Dieu,
de quoi bâtir de saintes maisons,
où le service divin soit honoré,
1710non où l’argent est gaspillé et dévoré,

  1. L’anecdote grasse qui sert d’intrigue à l’histoire se trouve dans Li Dis de la Vescie à Prestre, de Jacques de Basiu, ou Boisieux (voir Fabliaux ou Contes, Fable» et Romans du XIIe et du XIIIe siècle, par Legrand d’Aussy, 1829, vol. IV, p. 18 de l’Appendice). Une plaisanterie analogue à celle du rustre est attribuée à Jean de Meun qui aurait légué à des frères Jacobins de grands coffres, soi-disant pleins d’or et qui en réalité ne contenaient que de l’ardoise. Tout le reste du conte est original.
  2. Voir la note du Prologue A, v. 209.
  3. Service de trente messes en autant de jours pour les âmes du Purgatoire.