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Il était, si je lui dois donner sa louange,
un voleur et aussi un semoneur et un maquereau.
Il avait aussi des filles à son service,
qui, soit que ce fût messire[1] Robert ou messire Hugues,
ou Jeannot ou Raoul, ou qui que ce pût être,
qui couchât avec elles, elles le lui disaient à l’oreille ;
ainsi la fille et lui étaient d’accord.
1360 Et il apportait une fausse citation
et l’un et l’autre les appelait devant le chapitre,
et pillait l’homme et laissait aller la fille.
Puis il disait : « Ami, je vais, pour l’amour de toi,
la faire effacer de notre livre noir ;
ne te mets plus en peine du tout de cette affaire ;
je suis ton ami en toutes choses où je te puis servir. »
Certes il connaissait plus de tours de fripon
qu’on ne pourrait en rapporter en deux ans.
Car en ce monde il n’y a chien suivant l’arc du chasseur,
1370 qui sache discerner un daim blessé d’un autre qui ne l’est pas,
mieux que ce semoneur ne reconnaissait un dissimulé paillard
ou un adultère ou un galant.
Et comme c’était le principal de son revenu,
il y employait donc toute sa diligence.
Et il advint qu’un beau jour,
ce semoneur, toujours en quête de sa proie,
allait à cheval citer une veuve, une vieille sèche comme rebec[2],
prétendant un procès car il voulait soutirer de l’argent.
Et il se trouva qu’il vit devant lui à cheval
1380 un yeoman[3] bravement paré, à l’orée d’un bois.
Il avait un arc et des traits brillants et acérés ;
il portait un court manteau vert ;
un chapeau sur la tête à franges noires.
« Messire (dit le semoneur), salut ! soyez le bien rencontré ! »

  1. Messire, titre donné à un membre du clergé séculier.
  2. Dans l’anglais ribybe, violon mauresque à deux cordes. Littré cite l’expression proverbiale « sec comme rebec et plat comme punaise » pour un avare. Cf. Visages de rebec, figures grotesques taillées dans les manches des rebecs. Rabelais, II, iii. De là, on a appelé visage de rebec un visage sec et mal fait, etc. (Note de l’édition Favre, Paris, Champion, 1876.) M. Skeat suppose qu’il y a dans le mot « rebekke », vers 1573, une plaisanterie : rebekke serait à la fois une forme de « ribybe » et le nom Rébecca mis pour femme mariée parce que ce nom se trouve dans l’office du mariage.
  3. Yeoman, ici « archer ». V. p. 4, note 1.