Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/337

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec laquelle il peut voir ses vrais amis.
Et c’est pourquoi, messire, puisque je ne vous fais nul mal,
ne me faites plus un reproche de ma pauvreté.
Maintenant, messire, vous me reprochez d’être vieille ;
et certes, messire, quand aucun texte
ne le dirait en aucun livre, vous, gentilshommes d’honneur,
1210dites que l'on doit rendre hommage à un vieil homme
et l’appeler père, par courtoisie ;
et je trouverais des autorités, je pense.
Or de ce que vous me dites que je suis laide et vieille,
donc ne craignez point d’être fait cocu ;
car laideur et vieillesse sur mon salut
sont de puissants gardiens de la chasteté.
Mais néanmoins puisque je sais ce qui vous plaît
je contenterai votre appétit de nature.
Choisissez donc (dit-elle), l’une de ces deux choses,
1220de m’avoir laide et vieille jusqu’à ma mort,
et d’être pour vous une femme humble et fidèle,
et ne vous déplaire jamais de toute ma vie,
ou autrement de m’avoir jeune et belle,
et courir l’aventure de la foule qui viendra
en votre maison, attirée par moi,
ou en quelqu’autre endroit, il se peut bien.
Or choisissez vous-même ce que vous préférez. »
Le chevalier délibère et soupire bien fort,
mais à la fin il s’exprima ainsi :
1230« Ma dame et ma mie et ma très chère femme,
je me remets à votre sage discrétion ;
choisissez vous-même, ce qui sera pour notre plus grand plaisir
et notre plus grand honneur à vous comme à moi ;
il ne m’importe lequel des deux,
car ce que vous déciderez me conviendra. »
« Donc j’ai obtenu d’être la maîtresse (dit-elle),
puisque je peux choisir et gouverner à mon gré.
— Oui, certes, femme (dit-il), je le tiens pour le mieux.
— Baise-moi (dit-elle), nous ne sommes plus fâchés ;
1240car, sur ma foi, je veux être pour vous l'une et l’autre,
c’est-à-dire, oui bien, et belle et bonne.
Je prie Dieu qu’il me fasse mourir folle,
si je ne suis envers vous aussi loyale et fidèle