Lis Sénèque, et lis aussi Boêce,
là vous verrez clairement qu’il n’est point douteux
qu’il est noble celui qui fait des actions nobles ;
et en conséquence, cher mari, je conclus ainsi :
quand même il serait que mes ancêtres furent vilains,
pourtant le Dieu céleste peut, et c’est mon espoir,
m’accorder la grâce de vivre vertueusement.
Donc suis-je noble si je m’adonne
à vivre vertueusement et renonce au péché.
Pour le reproche que vous me faites de pauvreté,
le Dieu céleste auquel nous croyons
en pauvreté volontaire élut de passer sa vie.
Et certes tout homme, fille ou femme,
peut comprendre que Jésus, Dieu du ciel,
ne voulut point choisir une vie vicieuse.
La pauvreté acceptée est une chose honorable, certes ;
Sénèque[1] et d’autres clercs le disent.
Quiconque se tient pour content de sa pauvreté,
je l’estime riche, n’eût-il point de chemise.
L’homme pauvre est celui qui convoite[2],
car il voudrait avoir ce qui n’est point en son pouvoir.
Mais celui qui n’a rien et ne convoite rien
est riche, quand même vous ne le compteriez que pour un croquant.
La vraie pauvreté, elle chante par nature ;
Juvénal[3] dit de la pauvreté plaisamment :
« Le pauvre homme quand il va par les routes,
devant les voleurs il peut chanter et s’ébattre ».
La pauvreté c’est un bien mal gracieux et, comme je crois[4],
elle sait bien vous tirer hors du souci,
elle sait bien aussi rendre la sagesse
à celui qui la prend en patience.
Pauvreté c’est ceci, quoiqu’elle semble peineuse :
une possession que personne ne veut vous disputer[5]. ;
Pauvreté très souvent quand un homme est abaissé,
lui fait connaître son Dieu et se connaître soi-même.
La pauvreté est une lunette, comme il me semble,
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