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155qui soit mon débiteur, qui soit aussi mon serf,
et qui, avec cela, ait tribulations
dans sa chair tout le temps que je serai sa femme[1].
En ma puissance j’ai, durant ma vie entière,
le corps de mon mari, dont il n’est plus le maître[2].
160C’est cela mémement que l’apôtre m’a dit.
Et il a commandé que nos maris nous aiment[3].
Cette sentence toute est très fort à mon gré. »

    Le Pardonneur alors tout soudain sursauta :
« Or ça, dame (dit-il), par Dieu et par Saint Jean,
165vous faites un prêcheur merveilleux sur ce cas.
J’étais, moi, sur le point de prendre femme : hélas !
faudra-t-il qu’à ma chair il en cuise si fort ?
Mieux me vaudrait alors remettre à prendre femme ! »
— « Attends ; mon conte encor n’est commencé (dit-elle).
170Par ma foi, tu boiras bien d’un autre tonneau[4],
devant que je m’en aille, et moins bon que cervoise,
et lorsque je t’aurai dit jusqu’au bout mon conte
de tribulations en cours de mariage,
où je me connais bien par ma vie tout entière
175— entends bien : le fléau, c’est moi qui l’ai été —
tu verras bien alors si tu veux t’abreuver
à ce même tonneau que je vais mettre en perce.
Sache-le bien avant que d’en approcher trop,
car je te citerai d’exemples plus de dix.
180Quiconque ne consent à apprendre d’autrui,
à autrui il sera un exemple lui-même[5].
Ce sont propres paroles qu’écrivit Ptolémée.
Lis en son Almageste et les y va trouver[6]. »
— « Dame, je vous en prie, si vous y consentez,
185(dit lors le Pardonneur), comme vous commençâtes,
contez nous votre conte et n’épargnez quiconque.
Montrez votre pratique à nous qui sommes jeunes. »
— « Je le veux (ce dit-elle), si cela peut vous plaire.

  1. I, Cor., VII, 28.
  2. I, Cor., VII, 4.
  3. Éphés., V, 25.
  4. Rom. de la Rose, 7096, elz. ; aussi 11012.
  5. Cf. Rom. de la Rose, 8313, elz.
  6. Cf. Rom. de la Rose, 7330, elz.