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Ces membres, croyez-m’en, ne sont pas pour néant,
en dépit des gloseurs qui disent haut et bas
120que, s’ils ont été faits, c’est pour purgation
d’urine et selon qui nos deux petites choses
sont là pour distinguer aussi mâle et femelle
et pour nulle autre fin. — Que non pas, dites-vous ?
Expérience sait qu’il n’en est point ainsi.
125Pour que clercs contre moi ne s’aillent courroucer,
je dirai donc qu’ils ont été faits aux deux fins,
à savoir pour office et ensuite pour aise
d’engendrure, en tels cas où l’on n’offense Dieu.
Autrement pourquoi donc marquerait-on aux livres
130qu’à sa femme mari doit acquitter son dû[1] ?
Or avec quoi mari ferait-il son paiement
s’il n’y employait pas son benoît instrument ?
Ils ont donc été faits au corps des créatures
et pour purger l’urine et à fin d’engendrure.
135    Mais je ne prétends point que chacun soit tenu,
parmi ceux-là qui ont tel harnois que j’ai dit,
d’aller en faire usage au métier d’engendrure.
De chasteté alors personne n’aurait cure.
Jésus-Christ était vierge et fait tout tel qu’un homme,
140et, depuis que le monde est monde, plus d’un saint.
Ils ont vécu pourtant en chasteté parfaite.
Je ne veux envier nulle virginité.
Que les chastes soient pain de pur grain de froment
et que nous autres femmes ne soyons que pain d’orge.
145Et pourtant de pain d’orge, à ce que nous dit Marc,
notre Seigneur Jésus restaura plus d’un homme.
Dans la condition où m’a appelée Dieu[2]
je veux persévérer, précieuse ne suis.
En épouse je veux user mon instrument
150sans le plaindre plus que Celui qui me le fit.
Si j’y fais des façons, Dieu me donne chagrin !
Et mon mari l’aura le matin et le soir,
tout dès qu’il lui plaira venir payer sa dette.
Il me faut un mari — je n’en démordrai pas —

  1. I, Cor., VII, 3.
  2. I, Cor., VII, 20.