Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/299

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de Dieu, qui vivrait aussi joyeux que moi ! »
Et enfin le démon, notre ennemi,
mit en sa pensée d’acheter du poison,
de quoi tuer ses deux camarades ;
car le démon le trouva en tel état de vie
qu’il eut permission de le mener à mal ;
et ainsi notre homme prit fermement la résolution
de les tuer tous deux et de ne jamais s’en repentir.
850Il va donc, ne voulant pas s’attarder,
jusqu’à la ville, chez un apothicaire,
et le pria qu’il voulût bien lui vendre
du poison pour tuer ses rats ;
et il y avait aussi un putois dans son enclos,
qui, disait-il, avait tué ses chapons,
et il aurait bien voulu se venger, s’il pouvait,
de la vermine qui lui faisait dommage la nuit.
L’apothicaire répondit : « Oui, tu auras
860telle chose que (sur mon âme que Dieu sauve !)
il n’est créature en le monde entier
qui mange ou boive de cette confiture,
ne serait-ce que la grosseur d’un grain de blé,
sans en perdre aussitôt la vie ;
oui, elle mourra, et en moins de temps
que tu ne feras un mille à pied
tant ce poison est fort et violent. »
Le maudit prit dans sa main
une botte de ce poison, et courut ensuite
870dans la rue voisine chez quelqu’un
pour lui emprunter trois grandes bouteilles ;
et, dans deux, il versa son poison,
la troisième il la garda pure pour sa propre boisson,
car, toute la nuit, il se préparait à suer
en transportant l’or loin de l’endroit.
Et quand ce débauché (Dieu lui donne male chance !)
eut empli de vin ses trois grandes bouteilles,
il retourna auprès de ses camarades.
Est-il besoin de sermonner davantage ?
880Car, tout comme ils avaient prémédité sa mort,
tout ainsi le tuèrent-ils aussitôt.
Et quand ce fut fait, l’un parla ainsi :