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XXIX
INTRODUCTION.

sournoisement en lui obéissant à la lettre. Il renoncera aux vers et répétera en prose la redoutable et interminable allégorie où Dame Prudence prouve à son époux, par tous les Pères de l’Église et tous les docteurs du stoïcisme, qu’il doit prendre en douceur les maux peu communs dont il est affligé. Dans ces trois cas, il serait malavisé, le lecteur qui chercherait son plaisir dans l’excellence des contes, au lieu de l’extraire, comme le poète, de leur absurdité ou de leur ennui.

Ainsi se transforment les contes, simplement par la justesse de l’attribution, alors que, pour le reste, ils conservent visible leur marque d’origine. Mais il faut se garder de croire qu’à l’intérieur même des contes nul progrès ne se révèle. Ne revenons pas sur les digressions qui y pénètrent, mais qui, après tout, n’en font point partie intégrante. La même faculté vivifiante qui donna corps et âme aux pèlerins court et circule dans beaucoup des récits qu’ils font. Ici sans doute l’apport de Chaucer est très inégal selon les cas. Si grande et légitime que soit l’admiration des Anglais pour le premier poète qui leur ait fait connaître les vers de tendresse et de grâce, il faut convenir que Chaucer est très faiblement original dans la partie sérieuse, proprement poétique, des Contes de Canterbury. L’histoire de ce genre qu’il ait le plus remaniée est sûrement la Théséide de Boccace ; il a réduit ce qui était presque une épopée chevaleresque en stances au point d’en faire surtout un drame de rivalité amoureuse, et il se trouve que le récit de Boccace, surchargé de descriptions, a gagné souvent à cette réduction. Mais ailleurs Chaucer est ou traducteur littéral, comme pour le conte de Mellibée, ou adaptateur très voisin du modèle comme pour le sermon du curé, pour la vie de sainte Cécile, le De Casibus du moine, la légende de Constance et la légende de Grisélidis. Sans doute il est admirable qu’il ait pu conter en stances si pures, dans une langue avant lui si incertaine, ces deux dernières histoires. La preuve de son véritable don de poésie