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comme orgies et jeu de hasard ; hantant bordels et tavernes,
où, au son des harpes, des luths et des guitares,
ils dansent et jouent aux dés, le jour et la nuit,
et mangent et boivent plus qu’ils n’en peuvent tenir ;
en quoi ils sacrifient au diable
le temple même du diable, de façon maudite,
par superfluité abominable.
Leurs jurements sont si grands et si damnables
que c’est terrible de les entendre sacrer ;
ils mettent en pièces le corps béni de Notre Seigneur ;
ils pensaient que les Juifs ne l’avaient pas assez déchiré !
et chacun d’eux riait du péché de l’autre.
Et tout aussitôt surviennent danseuses
jolies et menues, jeunes vendeuses de fruits,
chanteuses avec harpes, prostituées, vendeuses d’oublies,
480qui sont vraies servantes du diable
pour allumer et attiser le feu de la luxure,
laquelle est liée à la gloutonnerie ;
je prends à témoin la sainte Écriture
que la luxure est dans le vin et l’ivrognerie.
Voyez comme, en son ivresse, Loth, contre nature,
se coucha près de ses deux filles, sans le vouloir ;
tellement ivre il était qu’il ne savait ce qu’il faisait.
Hérode — si l’on lit bien les histoires —
lorsqu’à son festin il se fut gorgé de vin,
490à sa table même donna l’ordre
d’occire Jean le Baptiste tout innocent.
Sénèque dit aussi une parole sage, sûrement ;
il dit qu’il ne saurait trouver différence
entre homme ayant perdu l’esprit
et homme qui s’adonne à la boisson,
sauf que folie s’abattant sur un méchant
dure plus longtemps que l’ivrognerie.
Ô gloutonnerie, pleine de malédictions,
ô cause première de notre confusion,
500ô origine de notre damnation,

    fabliau perdu. Le sujet de ce fabliau est conservé dans un recueil italien de la fin du XIIIe siècle, contenant des romans de chevalerie, des fabliaux et d’anciennes chroniques d’Italie, intitulé Cento Novelle Antiche. L’histoire contée par le Pardonneur est la quatre-vingt-deuxième du recueil. Il est à peu près démontré que le sujet du fabliau lui-même est d’origine orientale.