Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/288

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mais ce n’est pas là mon dessein principal.
Je ne prêche jamais que par convoitise ;
sur ce sujet, en voilà bien assez.
Puis je leur donne maint et maint exemple
de vieilles histoires du temps jadis,
car ignorants aiment vieux contes ;
ce sont choses qu’ils savent bien rapporter et retenir.
Eh quoi ! pensez-vous, tant que je puis prêcher
440en gagnant or et argent par ce que j’enseigne,
que je vais vivre volontairement en pauvreté ?
Non, non ! de vrai, jamais je n’y ai songé.
Je veux prêcher et mendier en différents pays ;
je ne veux point faire œuvre de mes mains,
ni fabriquer des paniers et vivre de ce métier,
car je ne veux pas mendier pour rien.
Je ne veux imiter aucun des apôtres ;
je veux avoir argent, laine, fromage et blé,
fussent-ils donnés par le plus pauvre page,
450ou par la plus pauvre veuve d’un village,
dussent ses enfants mourir de faim.
Parbleu ! je veux boire le jus de la vigne,
avoir garce joyeuse en chaque ville.
Hais, oyez ! messeigneurs, pour conclure :
votre désir est que je dise un conte.
Or ça, j’ai bu un coup de bière forte ;
par Dieu, j’espère vous dire une chose,
qui, comme de juste, soit à votre goût.
Car, si moi-même suis homme très vicieux,
460je puis cependant vous dire un conte moral
que j’ai accoutumé de prêcher, pour le gain.
Or, faites silence ! je vais commencer mon conte. »



Conte du Pardonneur[1].


Ci commence le Conte du Pardonneur.


Dans les Flandres, il était une fois une bande
de jeunes gens adonnés aux folies,

  1. Ce conte se compose de deux parties ; tout d’abord une véritable digression sous forme de sermon, puis le conte lui-même, qui semble emprunté à un