Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/276

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pour l’œuvre que voici je ne demanderai rien ;
mon maître et moi nous sommes tout d’accord ;
je l’ai créée pour adorer mon maître.
J’en fais autant pour toutes mes autres créatures,
quelles que soient leur couleur ou bien leur forme. »
Ce me semble que Nature parlerait ainsi.
30    Cette damoiselle avait douze et deux années d’âge,
en laquelle Nature avait si grand délice ;
car tout comme celle-ci sait peindre un lys blanc
et rouge une rose, juste des mêmes couleurs
elle a peint cette noble créature[1],
dès avant qu’elle fût née, sur ses membres gracieux,
où il convient que pareilles couleurs soient mises ;
et Phébus a donné à ses longues tresses la teinte
des rayons de ses ardentes flammes.
Et si elle excellait par sa beauté,
40elle était mille fois plus vertueuse encore.
Ne lui manquait aucune des qualités
qu’on doit louer en toute discrétion.
D’âme comme de corps elle était chaste,
ce pourquoi fleurissait en virginité
avec toute humilité et abstinence,
avec toute réserve et toute patience,
mesurée aussi en sa démarche et son ajustement.
Discrète en ses réponses on la trouvait toujours ;
bien qu’elle fût sage comme Pallas, je l’ose dire,
50sa faconde cependant était toute féminine et simple ;
elle n’usait point de termes apprêtés
pour sembler sage ; mais c’est suivant sa condition
qu’elle parlait, et tous ses mots, du moindre au plus grand,
étaient conformes à la vertu et à la gentillesse.
Elle était pudique de la pudeur des vierges,
de cœur constant, et toujours au travail
pour s’arracher à la vaine indolence.
Bacchus sur sa bouche n’avait point d’empire,
car vin et jeunesse font grandir désirs d’amour :
60tels les hommes qui sur le feu jettent huile ou graisse.
D’elle-même et n’écoutant que sa vertu

  1. V. 32-34. Cf. Roman de la Rose, 16443-16446.