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Groupe C


Conte du Médecin[1].


Ci suit le Conte du Médecin.


Il était, à ce que Tite Live raconte,
un chevalier qu’on nommait Virginius,
homme plein d’honneur et de mérite,
ayant force amis et grande richesse.
Ce chevalier, de sa femme eut une fille ;
point d’autres enfants n’eut en toute sa vie.
C’était une damoiselle belle d’une beauté parfaite,
surpassant toute créature qu’homme puisse voir ;
car Nature, avec un soin suprême
10l’a faite de si grande excellence
comme pour dire : « Voyez, c’est moi Nature
qui sais façonner et peindre ainsi une créature,
lorsqu’il me plaît ; qui saura m’imiter ?
Ce n’est point Pygmalion[2], dût-il sans cesse forger ou frapper
ou graver ou peindre ; car j’ose dire
qu’Appelles, Zanzis[3] travailleraient en vain
à graver ou à peindre, à forger ou frapper
s’ils avaient le front de vouloir m’imiter.
Car Celui qui est le Créateur souverain
20a fait de moi son vicaire[4] général
pour façonner et peindre créatures terrestres
suivant mon bon plaisir, et tout être est en ma tutelle
sous la lune qui croit et décroît ;

  1. L’histoire que va raconter le médecin se trouve, pour la première fois, chez Tite Live (livre III). Il est peu probable que Chaucer ait lu Tite Live lui-même ; il a emprunté son Conte au Roman de la Rose, dans lequel l’histoire de Virginia occupe soixante-dix vers (Cf. édition Méon, 5613-5683). Gower (Confessio Amantis 264-210) a brièvement traité le même sujet.
  2. 2. Ovide, Met., X, 247.
  3. Zanzis, pour Zeuxis.
  4. Ce mot, et la plupart des réflexions contenues dans ce passage, sont pris au Roman de la Rose, Ed. Meon, v. 16379-16970. passim