comme tu dévoiles le meurtre toujours !
Le meurtre ne se peut celer, nous le voyons chaque jour.
Le meurtre est si odieux et si abominable
à Dieu, qui est si juste et raisonnable,
qu’il ne veut le laisser impuni ;
dût-on attendre un an, ou deux, ou trois,
le meurtre éclatera, c’est ma conclusion.
Et tout incontinent les ministres de cette ville
ont pris le charretier et l’ont si bien mis à géhenne,
et l’hôtelier aussi ont si fort bourrelé
qu’ils ont incontinent avoué leur vilenie,
et qu’ils furent pendus par le col.
Ci peut-on voir que songes sont à craindre,
et certes, dans le même livre je lis,
droit dans le prochain chapitre après ceci
(si je mens, Dieu m’ôte joie et félicité !)
de deux hommes qui eussent voulu passer la mer,
pour certaine cause se rendant en terre lointaine,
si le vent n’avait été contraire,
et ne les avait retenus en une cité,
qui s’élevait très plaisante près d’un havre.
Or un jour, vers le soir,
le vent se mit à changer, et souffla comme ils souhaitaient.
Gaillards et contents, ils s’en allèrent se coucher,
et firent projet de partir de bon matin ;
mais à l’un de ces hommes advint grand merveille.
Celui-ci, comme il gisait dormant,
rêva un songe étrange, vers le matin ;
il lui sembla qu’un homme était debout à côté de son lit,
et lui commandait de rester,
et lui disait : « Si tu pars ce matin,
tu seras noyé ; mon propos est au bout. »
Il s’éveilla et dit à son compagnon son songe,
et le supplia de retarder son voyage ;
pour ce jour, le supplia de demeurer.
Son compain, qui était couché à côté de son lit,
se mit à rire, et de lui se gaussa fort.
« Nul rêve, dit-il, ne saurait tant m’effrayer le cœur,
que je tarde à faire mes affaires.
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