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4200il se retourna, et de ce ne prit garde ;
il lui sembla que son rêve n’était que vanité.
Deux fois dans son sommeil fit-il le même rêve.
Et une troisième fois encore son compain
vint, ce lui sembla, et dit : « Ores suis occis ;
vois mes blessures sanglantes, larges et profondes !
Lève-toi de bonne heure demain matin,
et à la porte de l’ouest de la ville, dit-il,
un char plein de fumier verras-tu,
dans lequel est caché mon corps, très secrètement ;
4210fais arrêter ce char, hardiment.
C’est mon or qui a causé mon meurtre, pour dire vrai. »
Et il lui dit en tous points comment fut meurtri,
avec très piteuse figure, de teinte toute blême.
Et croyez bien qu’il trouva son rêve tout vrai,
car, au matin, dès qu’il fit jour,
il prit le chemin de l’auberge où était son camarade,
et quand il arriva à l'étable à bœufs,
il se mit à appeler son compagnon.
L’hôtelier lui répondit incontinent,
4220et dit : « Messire, votre compain s’en est allé ;
au point du jour il est parti de la ville. ».
Notre homme commença à entrer en soupçon,
se rappelant le rêve qu’il avait songé,
et s’en va — plus longtemps ne voulait tarder —
vers la porte de l’ouest de la ville, et trouva
un char de fumier, comme pour fumer la terre,
qui était arrangé de cette même façon
qu’avez entendu l’homme mort décrire ;
et d’un cœur hardi, se met à crier
4230vengeance et justice de cette félonie : —
« Mon compain fut meurtri cette nuit même,
et il gît dans ce char couché bouche béante.
J’en appelle aux ministres, dit-il,
qui ont devoir de garder et gouverner cette cité.
Haro ! hélas ! ci gît mon compagnon meurtri ! »
Que dois-je à ce conte ajouter ?
Le peuple saillit dehors, et jeta le char à terre,
et emmi le fumier ils trouvèrent
le mort, qui était tout fraîchement tué.