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3930 et aussi il eut un songe certaine nuit,
dont il eut tant d’orgueil et de joie,
qu’il mit tout son désir à se venger.

Il était sur un arbre, à ce qu’il lui semblait,
et là Jupiter lui lavait le dos et les côtés,
et Phébus aussi lui apportait un linge
pour le sécher, et à cause de ceci son orgueil augmenta ;
et à sa fille, qui se trouvait près de lui,
qu’il savait être pleine de grand savoir,
il ordonna de lui dire ce que cela signifiait,
3940 et elle lui expliqua ainsi son rêve.

« L’arbre, (dit-elle,) veut dire le gibet,
et Jupiter représente la neige et la pluie,
et Phébus, avec son linge si propre,
ce sont les rayons du soleil ;
Tu seras pendu, père, certainement ;
la pluie te lavera et le soleil te séchera. »
Ainsi elle l’avertit tout net et très clairement,
sa fille, qui avait nom Phanie.

Pendu fut Crésus, le monarque orgueilleux,
3950 son trône royal ne lui servit de rien. —
Tragédie n’est rien autre chose[1],
et n’a lieu dans ses chants de pleurer et se lamenter
que parce que la fortune toujours attaque
de coups inattendus les royautés qui sont orgueilleuses ;
car lorsqu’on se fie a elle, c’est alors qu’elle se dérobe
et couvre d’un nuage son visage lumineux…


Ici le Chevalier interrompt le conte du Moine.
  1. Comparer le Prologue du Moine, v. 3163 et suiv. Ici encore Chaucer suit Boèce, B. 2, Prose 2.