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car toujours il le détournait des vices
discrètement en paroles et non par violence ;
— « Seigneur, (lui disait-il,) un empereur doit nécessairement
être vertueux, et haïr la tyrannie ; » —
pour ce motif il l’obligea à se saigner dans un bain
3700 aux deux bras, jusqu’à ce qu’il en mourût.

Ce Néron avait aussi l’habitude
en son enfance de se lever devant son maître,
ce qui dans la suite lui sembla grand grief ;
c’est pourquoi il le fit mourir de cette manière.
Mais néanmoins ce Sénèque le sage
choisit de mourir dans un bain de la sorte,
plutôt que d’avoir un autre supplice ;
et ainsi Néron tua son maître cher.

Or il arriva que la fortune ne se soucia plus
3710 d’entretenir le haut orgueil de Néron ;
car bien qu’il fût puissant, elle était plus puissante encore ;
elle se dit : « Par Dieu, je suis trop bonne
de mettre un homme qui est plein de vice
en haut état, et de l’appeler empereur.
Par Dieu, de sa place je vais l’arracher ;
quand il y pensera le moins, plus tôt il tombera. »

Le peuple se souleva contre lui un soir
à cause de ses crimes, et quand il s’en aperçut,
hors de chez lui aussitôt il sortit
3720 seul, et là où il pensait avoir des alliés,
il frappait à coups pressés et toujours, plus fort il criait,
plus vite ils fermaient tous leurs portes ;
alors il reconnut qu’il s’était mal conduit,
et alla son chemin, n’osant plus appeler.

Le peuple criait et grondait de toute part,
si bien que de ses propres oreilles il entendit qu’il disait :
« Où est ce faux tyran, ce Néron ? »
De crainte il perdit presque l’esprit,
et pitoyablement il pria ses dieux
3730 de le secourir, mais c’était impossible.
De peur de ceci il pensa mourir,
et s’enfuit en un jardin pour se cacher.