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et il mangea du foin et coucha dehors ;
il alla sous la pluie avec les bêtes sauvages
jusqu’à ce qu’un certain temps fut arrivé.

Et ses cheveux devinrent comme des plumes d’aigle,
ses ongles semblables à des griffes d’oiseau ;
jusqu’à ce que Dieu certaine année lui pardonna,
et lui donna la raison ; et alors avec bien des larmes
il remercia Dieu, et toujours il vécut dans la crainte
3370 de faire mal, ou de faillir encore,
et jusqu’au jour où il fut couché dans sa bière,
il reconnut que Dieu était plein de puissance et de grâce.


Balthasar[1].

Son fils qui s’appelait Balthasar,
qui posséda le royaume après son père,
ne fut pas instruit par son exemple,
car il était orgueilleux de cœur et par état ;
et de plus c’était un idolâtre.
Son haut rang le confirma en orgueil.
Mais la fortune le fit tomber et le voilà mis à terre,
3380 et tout soudain son royaume fut divisé.

Il donna à tous ses seigneurs une fête
certain jour, et leur dit d’être en joie,
puis il appela ses officiers.
« Allez, (dit-il,) et apportez les vases
que mon père en sa prospérité
enleva du temple de Jérusalem,
et rendons grâces à nos grands dieux
de l’honneur que nous ont légué nos ancêtres.

Son épouse, ses seigneurs, et ses concubines
3390 burent alors, tant qu’ils en eurent envie,
dans ces vases sacrés des vins divers ;
et sur un mur le roi jeta les yeux,
et vit une main sans bras qui écrivait en hâte,
par crainte de quoi il trembla et soupira cruellement.
Cette main qui si fort terrifiait Balthasar
écrivit Mane Tecel Phares et rien de plus.

  1. Boccace, dans son De Casibus Virorum Illustrium, rapporte très brièvement l’histoire de Balthasar. Chaucer s’est aussi inspiré de la Bible (Daniel, V).