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et lui envoyer à boire, ou bien il lui fallait mourir ;
et de cette mâchoire d’âne qui était desséchée,
d’une dent molaire soudain jaillit une source
dont il but en suffisance, pour être bref,
ainsi Dieu le secourut, comme on peut lire en Judicum.

De vive force à Gaza une nuit,
malgré les Philistins de cette ville
il a enlevé les portes de la cité,
3240 et sur le dos il les a transportées
en haut d’une colline, pour qu’on pût bien les voir.
Ô noble Samson tout puissant, et très cher,
si tu n’avais dit aux femmes ton secret,
dans tout ce monde tu n’aurais eu de pair !

Ce Samson jamais ne buvait ni cidre[1] ni vin,
et sur sa tête ne passait ni rasoir ni ciseaux
par ordre du messager divin,
car toute sa force était dans ses cheveux ;
et pendant bien vingt hivers, année par année,
3250 il eut le gouvernement d’Israël.
Mais bientôt il pleurera mainte larme,
car les femmes le mèneront au malheur !

À sa concubine Dalila il dit
qu’en ses cheveux résidait toute sa force,
et félonnement à ses ennemis elle le vendit.
Et un jour qu’il dormait dans ses bras
elle lui fit tondre ou raser les cheveux,
et fit voir à ses ennemis toute sa force[2] ;
et quand ils le trouvèrent en cet état,
3260 ils le lièrent solidement, et lui crevèrent les yeux,

Mais avant que ses cheveux fussent coupés ou tondus,
il n’y avait lien dont on pût le lier ;
mais le voici maintenant dans une caverne,

  1. Chaucer emploie le mot « sicer » copié textuellement dans la Bible : « cave ergo ne bibas vinum ac siceram », dit l’ange à la mère de Samson. Sicera comme le grec σίχερα désigne une boisson fermentée.
  2. C’est-à-dire « fit voir à ses ennemis en quoi résidait sa force » ; la Bible anglaise donne (Judges, XVI, 9) à propos d’une première tentative infructueuse de Dalila, « so his strength was not known » : ainsi sa force ne fut pas connue, passage que la Vulg. traduit : « et non est cognitum in quo esset fortitudo ejus ».