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Je suis sûre qu’elle me fera un jour tuer
quelque voisin, et puis va te faire pendre !
C’est que je suis dangereux le couteau à la main
3110 bien que je n’ose lui résister à elle,
car elle a de bons bras, par ma foi !
en pourra juger quiconque envers elle agira ou parlera mal.
Mais quittons ce sujet.
Messire moine, (dit-il,) faites joyeuse mine,
car tous allez nous dire un conte en vérité.
Ça ! Rochester est là tout près !
Approchez, monseigneur, ne rompez pas notre jeu.
Mais, par ma foi, je ne sais pas votre nom ;
dois-je vous appeler messire dom Jean
3120 ou dom Thomas, ou bien dom Alban ?
De quelle maison êtes-vous, par la famille de votre père ?
j’en jure Dieu, tu as fort beau teint,
c’est pâturage de gentilhomme que le tien[1] ;
tu n’as pas l’air d’un pénitent ni d’un spectre.
Sur mon honneur, tu es quelque dignitaire,
quelque respectable sacristain[2], ou quelque cellérier[3],
car par l’âme de mon père, m’est avis
que tu es maître quand tu es chez toi,
non pas pauvre cloîtré non plus que novice,
3130 mais gouverneur avisé et sage.
Sans compter qu’en fait de muscles et d’os
tu es en bon point pour l’heure.
Je prie Dieu qu’il confonde celui
qui le premier te fit entrer en religion ;
tu aurais fait un fameux coq.
Si tu avais le droit, autant que tu as le pouvoir,
de satisfaire ton penchant à procréer,
tu aurais engendré mainte créature.
Hélas ! pourquoi portes-tu un capuchon si large[4] ?
3140 Dieu me punisse ! si j’étais pape
non seulement toi, mais tout homme vigoureux,

  1. Et non pâturage communal, où il reste peu à brouter.
  2. i. e. pourvu du bénéfice appelé sacristie dans certains monastères.
  3. Cellérier. L’aubergiste semble confondre ici plaisamment deux mots : le préposé au cellier, et le chef d’une celle, petit monastère dépendant d’un plus grand. Voir A, v. 172.
  4. Le capuchon du moine était ample (voir A, v. 262) :