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moult de femmes ont été bonnes et leur conseil bon et profitable. L’on a accoutumé de dire : conseil de femme, ou il est très cher ou il est très vil. Car encore que moult de femmes soient très mauvaises et leur conseil vil, toutefois l’on en trouve assez de bonnes et qui très bon conseil et très cher ont donné. Un maître fit deux vers ès quels il demande et répond et dit ainsi : Quelle chose vaut mieux que l’or ? Jaspe. Quelle chose plus que jaspe ? Sens. Quelle chose vaut mieux que sens ? Femme. Quelle chose vaut mieux que femme ? Rien. Par ces raisons et moult d’autres peux-tu voir que moult de femmes sont bonnes et leur conseil bon et profitable. Si donc maintenant tu veux croire mon conseil, je te rendrai ta fille toute saine et ferai tant que tu auras honneur en ce fait. » Mellibée consentit à écouter sa femme et voici les sages paroles qu’il entendit.

« Puisque tu te veux gouverner par mon conseil, je te veux enseigner comment tu te dois comporter en prenant conseil. Premièrement tu dois le conseil de Dieu demander devant tous autres, après tu dois prendre conseil en toi-même et lors dois-tu ôter trois choses de toi qui sont contrarieuses à conseil, assavoir ire, convoitise et hâtiveté. Enfin tu dois réunir tes conseillers. Tu dois appeler seulement tes bons et loyaux amis, surtout les vieillards, car ès anciens est la sapience, et te garder d’écouter les flatteurs, les faux amis et les jeunes fous. » Les conseillers réunis, il faut savoir les interroger, ne rien leur cacher, et la délibération terminée, exécuter ce qu’on a décidé. L’assemblée tumultueuse à laquelle Mellibée avait soumis sa querelle était incapable d’émettre un avis sage : c’étaient des « gens étranges, jouvenceaux, fols, losengeurs, ennemis réconciliés portant révérence sans amour. Tu as erré en refusant de suivre l’avis de tes amis sages et anciens, mais as regardé seulement le plus grand nombre et tu sais bien que les fols sont toujours en plus grand nombre que les sages et pour ce le conseil des chapitres et des grandes multitudes de gens où l’on regarde plus le nombre que les mérites des personnes erre souvent, car en tels conseils les fols ont toujours gagné ». Il faut aller au fond des choses : « L’injure qui t’a été faite a deux causes ouvrières et efficientes, la lointaine et la prochaine ; la lointaine est Dieu qui est cause de toutes choses, la prochaine sont tes trois ennemis. Qui me demanderait pourquoi Dieu a voulu et souffert qu’ils t’aient fait telle injure, je n’en saurais pas bien répondre pour certain, car, selon ce que dit l’Apôtre, la science et jugement Notre Seigneur sont si profonds que nul ne les peut comprendre ni encerchier suffisamment. Toutefois par aucunes présomptions je tiens que Dieu qui est juste et droiturier, a souffert que ce soit advenu pour cause juste et raisonnable… Tu as été ivre de tes richesses et as oublié Dieu ton créateur, ne lui as pas porté honneur et révérence ainsi comme tu devais. Tu as péché contre Notre Seigneur car les trois ennemis de l’humain lignage qui sont le monde, la chair et le diable, tu as laissé entrer en ton cœur tout franchement par les fenêtres du corps de sorte qu’ils ont navré ta fille, c’est assavoir l’âme de toi, de cinq plaies, c’est-à-dire de tous les péchés mortels qui entrèrent au cœur parmi les cinq sens du corps. Par cette semblance Notre Seigneur a permis à ces trois ennemis d’entrer en ta maison par les fenêtres et de navrer ta fille en la manière dessus dite. »