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Le Conte de Chaucer sur Mellibée.


Prologue du Mellibée.


« Plus de ça, pour la dignité de Dieu !
2110(dit notre hôte) car tu me rends
si las de tes fieffées sottises
que, aussi sûr que Dieu me bénisse,
les oreilles me font mal de ton écœurante histoire.
Je donne au diable pareille rime !
Ce doit être rime de chien[1] » (dit-il).
« Pourquoi cela ? (lui dis-je). Pourquoi veux-tu m’empêcher
plus que les autres de dire mon conte,
puisque c’est la meilleure rime que je sache ? »
« Pardieu ! (dit-il) c’est que tout net, et en un mot,
2120ta rime écœurante ne vaut pas un étron ;
tu ne fais rien que perdre notre temps.
Messire, en un mot, tu ne rimeras pas davantage.
Voyons si tu peux nous conter quelque geste
ou nous dire du moins quelque chose en prose
où il y ait un peu d’amusement ou un peu de doctrine. »
« Volontiers (dis-je), par la passion du bon Dieu !
Je vais vous conter une petite chose en prose
qui devra vous plaire, je le suppose ;
autrement, certes, vous êtes trop difficile.
2130C’est un vertueux conte moral ;
il est vrai qu’il est parfois conté de diverse manière
par diverses gens, comme je vais vous l’expliquer ;
voici comme : vous savez que chaque évangéliste
qui nous raconte la passion de Jésus-Christ
ne dit pas tout comme son compagnon ;
mais néanmoins leur récit est toute vérité,
et tous s’accordent pour le sens

  1. Rym doggerel. L’expression est devenue courante en anglais pour désigner les vers irréguliers, surtout burlesques.