je vous le dis, peu s’en fallut
qu’il ne lui advint fâcheux ennui.
Là poussent herbes grandes et petites,
la réglisse et le citoal[1],
et maint clou de girofle,
et la noix muscade pour mettre dans l’ale,
qu’icelle soit fraîche ou éventée,
ou pour mettre dans un coffret.
Les oiseaux chantent, il n’y a pas à dire non,
l’émouchet et le papegai,
que c’était joie de les entendre ;
la grive mâle aussi disait son lai,
la colombe des bois sur la branchette
chantait haut et clair.
Sire Topaze tomba en langueur d’amour
quand il entendit la grive chanter,
et éperonna comme s’il était fol :
son beau coursier sous son éperon
suait tant qu’on eût pu le tordre,
ses flancs étaient tout en sang.
Sire Topaze aussi tant devint las
d’éperonner sur l’herbe molle
(si farouche était son courage[2] !)
qu’il mit pied à terre en ce lieu
pour permettre à son cheval quelque soulas,
et lui donna bon fourrage.
« Ô Sainte Marie, benedicite !
Que me veut ce cruel amour
pour me lier si fort ?
J’ai rêvé toute cette nuit, de par Dieu !
qu’une reine des elfes sera mon amante
et dormira sous mon manteau.
C’est une reine des elfes que je veux aimer, par ma foi !
car en ce monde il n’est femme
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