Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Notre grand ennemi, le serpent Satanas
qui dans le cœur des Juifs a toujours son guêpier.
1750s’enfla soudain et dit : « Hélas ! peuple hébraïque,
est-ce chose conforme à votre honneur
qu’un tel enfant s’en aille ainsi que bien lui plaît,
à votre grand dépit, chantant telles histoires
qui sont contraires au respect de votre loi ? »

Et depuis ce temps là, conspirèrent les Juifs
afin de dépêcher cet innocent du monde.
Et pour ce faire ils louèrent un homicide,
qui s’en alla cacher dans certaine ruelle ;
dès que l’enfant s’en vint à passer par ce lieu,
1760ce maudit Juif le prit et le tint bien serré,
puis lui coupe la gorge et le jette en un trou.

Je dis qu’il fut jeté en une garde robe
où ces Juifs là soûlaient de purger leurs entrailles.
O maudite nation ! O Hérodes nouveaux !
A quoi vous servira votre mauvais complot ?
Meurtre est tôt publié ; cela ne faudra point ;
l’honneur de Dieu sera propagé par là même.
Sur votre acte maudit, le sang jà crie vengeance !

Martyr ainsi voué à la virginité,
1770ores tu peux chanter, suivant à tout jamais
le blanc Agneau céleste ! (ainsi dit la prieure) ;
tu es de ceux dont Jean le grand évangéliste
écrivit en Patmos[1], disant que ceux qui vont
devant l’Agneau, chantant un chant nouveau,
sont tels qui n’ont connu femme charnellement.

Et cette pauvre veuve attend toute la nuit
son petit enfançon, mais il ne revient point ;
1780et lors dès que paraît la lumière du jour,
toute pâle d’effroi et de souci
elle va à l’école et ailleurs le chercher ;
jusqu’à ce qu’à la fin lui vient nouvelle
qu’en dernier on l'a vu en rue de Juiverie.

  1. Voir Apocalypse, XIV, 34.