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et écouta les mots et les notes aussi,
tant que par cœur il sut tout le premier verset.

Point ne savait ce que latin veut dire,
car il était tout jeune et tendre d’âge ;
mais un jour il pria un de ses camarades
de lui dire ce chant en son propre langage,
et de lui expliquer quel était son usage ;
de le traduire et éclaicir le supplia
maintes fois sur ses genoux nus.

1720Son compagnon qui plus que lui était âgé
lui répondit ainsi : « Ce chant, ai-je oui dire,
fut fait de notre heureuse et généreuse Dame,
pour que la saluions, et pour que la priions
d’être quand nous mourons notre aide et délivrance ;
ne puis rien expliquer de plus en la matière ;
j’apprends le chant, mais sais peu de grammaire. »

« Et ce chant est-il donc fait à la révérence
de la mère de Christ ? (lors dit cet innocent).
Or certes je ferai toute ma diligence
1730à tout entier l’apprendre, avant que soit Noël,
quand je serais réprimandé pour l’abc,
et quand on me battrait trois fois dedans une heure,
car je le veux savoir pour l’honneur Notre Dame ! »

Son ami en secret l’enseigna chaque jour,
comme ils s’en retournaient, tant qu’il le sut par cœur,
et désormais il le chantait bien hardiment,
de mot à mot, et suivant chaque note.
Deux fois par jour le chant en sa gorge passait,
comme il allait vers l’école ou vers sa maison ;
1740tant il était dévot à la mère de Christ.

Dans cette Juiverie ainsi que je l’ai dit
comme allait et venait notre petit enfant,
joyeusement chantait et s’écriait toujours
Alma Redemptoris Mater ;
tant a percé son cœur la très grande douceur
de la mère de Christ, qu’afin de la prier,
ne pouvait se tenir de chanter en chemin.