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« Par Marie, je défie[1] ce faux moine, Dom Jean !
car de ses preuves je n’ai nul souci.
Il m’apporta certain argent, je le sais bien ;
mais, que malheur échoie à son museau de moine !
Dieu le sait ! je m’en fus sans avoir doute
qu’il ne me l’eût donné pour son amour de vous,
pour m’en faire à moi-même honneur et bon profit,
pour notre cousinage, et pour la belle chère
1600que si souvent il a reçue en ce logis.
Mais puisque je me vois en ce désavantage,
vous aurez débiteurs plus paresseux que moi,
car je vous repaierai bien, et quand vous plaira,
de jour en jour, et si pourtant argent me manque,
votre femme je suis, cochez-le sur ma taille[2],
et je vous le paierai dès que je le pourrai ;
car par ma foi ! j’ai à mon propre accoutrement,
et non à gaspillage, employé tout l’argent,
1610et puisque l’ai si bien su dépenser
en votre honneur, je vous prie, pour l’amour de Dieu,
ne soyez irrité, mais rions et jouons.
Je vous promets mon corps gaillard en gage.
Par Dieu ! ne vous paierai jamais qu’au lit !
Pardonnez-moi, mon cher et mon unique époux,
tournez-vous par ici, faites meilleur visage ! »
Notre marchand vit bien qu’il n’était de remède,
et que gronder ne serait rien que grand’folie,
puisque la chose ne pouvait être amendée.
1620« Or ça, femme, dit-il ; je te pardonnerai,
mais par la vie ! ne sois plus désormais si large,
et tiens mieux notre bien, je te le donne en charge ! a

Ainsi finit mon conte — et que Dieu nous envoie
assez de contes jusqu’à la fin de nos jours !


Ici finit le conte du Marinier.


  1. Au vieux sens de répudier.
  2. « Score it upon my taille », sans doute avec un jeu de mots, dans l’original français supposé.