Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Saluez notre dame, et ma douce cousine ;
bien vous portez, mon cher cousin, jusqu’au revoir ! »

Notre marchand, homme fort sage et avisé,
à Paris put trouver crédit, et donc paya, —
à ne sais quels Lombards, franc argent en leurs mains, —
la dite somme, et retira son gagement.
Et puis s’en retourna, gai comme papegaut,
1560car savait bien qu’il se trouvait en tel arroi
qu’il devait sûrement gagner à ce voyage
mille francs par dessus tous ses dépens.
Sa femme l’attendait toute prête à la porte,
comme elle avait toujours par vieil usage fait ;
et toute cette nuit ils passèrent en joie,
car il se sentait riche et tiré de sa dette.
Quand il fit jour le marchand voulut embrasser
sa femme encore un coup, la baisa sur la face ;
bref le voilà monté et menant dur l’affaire.
1570« Non plus ! Par Dieu ! (dit-elle,) c’est assez ! »
El plaisamment encore avec lui se joua,
jusqu’à ce qu’à la fin notre marchand lui dit :
« Par Dieu ! (fit-il, je suis un petit irrité
contre vous, mon épouse, encore qu’il me peine.
Et savez-vous pourquoi ? Par Dieu, c’est que j’apprends
que vous avez causé un peu d’étrangerie
entre Dom Jean, notre cousin, et moi.
Vous deviez m’avertir, avant que je partisse,
qu’il vous avait payé cent francs, —
1580dont il tient preuve toute prête. Il fut fâché
lorsque je lui parlai de cette chevissance,
du moins tel me sembla, d’après sa contenance —
mais cependant, par Dieu, le roi du paradis,
point ne pensais lui demander aucune chose !
Donc je vous prie, ma femme, à n’en plus faire ainsi ;
mais dites-moi toujours avant que je vous quitte
si quelque débiteur vous a en mon absence
payé son du, de peur qu’en votre négligence
je n’aille réclamer chose qu’il m’a rendue. »
1590la femme ne fut point apeurée ou troublée,
mais hardiment elle reprit, tout aussitôt :