Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que je réveillerai toute la compagnie ;
mais il ne s’agira point de philosophie,
physique ou aucuns mots de loi étranges
1190car il n’est guère de latin en mon gésier. »


Ici finit le Prologue du Marinier.



Ici commence le conte du Marinier.


Un marchand autrefois vivait en Saint-Denis
qui riche était (et pour ce le tenait-on sage).
Or une femme avait, d’excellente beauté,
mais aimant compagnie, et moult joyeuseté ;
et cette chose-là cause plus grand’ dépense
que n’en valent toute la chère et tout l’honneur
qu’hommes leur font dans les festins et dans les danses ;
car salutations et belles contenances
passent comme ombres font devant un mur ;
1200mais malheur à celui qui doit payer pour elles !
« Bon homme de mari doit tout payer toujours ;
lui faut nous habiller, lui faut nous[1] arroyer[2],
bien richement, pour se faire à soi-même honneur,
en quel arroi nous danserons gaillardement.
Et s’il n’y peut contribuer, par aventure,
ou s’il ne veut endurer la dépense,
mais croit que c’est argent gâté en pure perte,
alors faudra qu’un autre paie pour tous nos frais,
ou nous prête son or — et là gît grand péril. »

1210Ce notable marchand tenait brave demeure,
et donc avait toujours si grand concours de gens
pour sa largesse, — et pour ce que sa femme était jolie,
que c’en était merveille. Or écoutez mon dit.
Dans tout ce monde-là, hôtes petits et grands,
un moine se trouvait, homme bel et hardi,

  1. De ce que le marin emploie tout à coup « nous », il n’est peut-être pas nécessaire, mais il est possible de croire avec M. Skeat, que le conte fut d’abord placé dans la bouche d’une femme. Cf. D 337-9.
  2. Arroyer, c’est-à-dire équiper, parer. Voir Cotgrave.