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Madame la reine a un enfant, sans nul doute,
pour la joie et le bonheur de tout ce royaume à l’en tour.

Voici les lettres scellées à ce sujet
que je dois porter avec la hâte que je puis ;
si tous voulez mander quelque chose au roi votre fils
je suis votre serviteur de nuit et de jour. »
740Donegilde répondit : « Quant à présent, aujourd’hui, non ;
mais je veux qu’ici toute la nuit tu prennes ton repos.
Demain je te dirai ce qu’il me plaît. »

Le messager but ferme bière et vin
et secrètement ses lettres furent volées
de sa boite, tandis qu’il dormait comme un porc,
et l’on contrefit très subtilement
une autre lettre, forgée très méchamment,
adressée au roi sur ce sujet
par son connétable, comme vous allez l’entendre ci-après.

750La lettre disait : « La reine est accouchée
d’un être diabolique si affreux
que nul dans le château ne fut si hardi
qu’il osât y demeurer un instant de plus.
La mère était une fée, par malheur
venue là, au moyen de charmes ou de sortilèges,
et chacun abhorre sa société. »

Triste fut le roi quand il eut vu cette lettre,
mais à personne il ne raconta ses cuisants chagrins,
et de sa propre main il écrivit en retour :
760« Bienvenu soit ce qu’envoie le Christ à jamais
pour moi, qui suis maintenant instruit de sa doctrine.
Seigneur, bienvenus soient ton plaisir et ta volonté.
Tout mon plaisir, je le mets en ton commandement !

Gardez cet enfant, qu’il soit laid ou beau,
comme aussi ma femme, jusqu’à mon retour.
Le Christ, quand il Lui plaira, pourra m’envoyer un hoir
plus agréable que celui-ci à mon goût. »
Cette lettre, il la scella, pleurant en secret.
Elle fut bientôt portée au messager
770qui s’en alla ; il n’y a rien de plus à faire.