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Conte de l’Intendant.


Prologue du conte de l’Intendant..



Après que l’on a ri du plaisant cas
d’Absalon et Nicolas le gracieux,
des gens divers, divers sont les propos ;
mais, la plupart, ils en rient et se gaussent,
et nul ne vis-je que ce conte peinât,
3860hormis le seul Oswald l’intendant,
vu que de son métier il était charpentier.
Quelque colère au cœur lui est restée.
Il murmure et il blâme un tantinet le conte.
« Sur mon salut, dit-il, je pourrais me venger
en contant du meunier orgueilleux joué,
s’il pouvait me chaloir de conter paillardises.
Mais je suis un vieillard, plaisanter ne me chaut.
J’ai fait mon temps au vert, désormais suis-je au sec[1] ;
sur ces cheveux blanchis sont écrits mes vieux ans ;
3870tout ainsi que le poil ai-je le cœur chanci.
À moins que je ne sois dans le cas de la nèfle.
Ce fruit-là, plus il va et plus il est mauvais,
tant qu’il blettisse en tas ou sur la paille.
Ainsi de nous, les vieux, s’en va-t-il, je le crains :
à moins qu’on ne soit blet, on ne peut être mûr.
Tant que le monde veut nous jouer de la flûte, nous sautons et sautons[2].
Car dans notre vouloir reste fiché ce clou
d’avoir blanche la tête ayant verte la queue
ainsi que le poireau : morte notre vigueur,
3880notre vouloir pourtant est toujours en folie.
Nous ne nous pouvons rien faire, mais il nous faut parler.
Toujours couve du feu sous notre vieille cendre.

  1. C’est l’hiver : le cheval n’est plus mis au vert, on le nourrit de fourrage
    sec, à, l’écurie.
  2. Luc, VII, 32.