Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/138

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en sa forge il fabriquait pièces de charrue,
il affilait activement soc et coutre.
Absalon frappe tout doucement
et dit : « Ouvre Gervais, et vivement. »
— « Quoi, qui es-tu donc ? » — « C’est moi, Absalon. »
— « Quoi, Absalon ! par la sainte croix du Christ,
pourquoi vous levez-vous si tôt, eh, ben’cite[1] !
Qu’est-ce qui vous tourmente ? quelque folle fille, Dieu sait,
3770vous a mis en branle ainsi ;
par saint Néot, vous savez bien ce que je veux dire. »
Absalon se souciait comme d’une fève
de tout son badinage, il ne répondit mot ;
il avait plus d’étoupe à sa quenouille[2]
que ne savait Gervais. Il dit : « Très cher ami,
ce coutre rougi qui est là dans la cheminée,
prête-le-moi, j’en ai affaire,
et je te le rapporterai tout à l’heure. »
Gervais reprit : « Certes, si c’était de l’or,
3780ou des nobles, tous non comptés, en un sac,
tu les aurais, foi de forgeron.
Eh ! par le pied du Christ ; qu’en voulez-vous donc faire ? »
— « Advienne que pourra (dit Absalon),
je te le dirai bien demain. »
Et il saisit le manche froid du coutre.


Tout doucement il se glissa dehors
et puis s’en fut au mur du charpentier.
D’abord il tousse, et puis il frappe
à la fenêtre, ainsi qu’il avait fait devant.
3790Alison répondit : « Qui est là ?
qui frappe ainsi ? c’est un voleur, je gage. »
— « Mais non (dit-il), par Dieu, ma douce amie,
C’est moi, ton Absalon, ô ma chérie !
et je t’ai apporté un anneau d’or (dit-il) ;
c’est ma mère qui me l’a donné, sur mon salut ;
il est très beau, et bien gravé aussi ;
je te le baillerai si tu me donnes un baiser. »

  1. Contraction de Benedicite.
  2. C’est-à-dire plus de fil à retordre.