Ce clerc avait nom Nicolas le gracieux :
il s’entendait à l’amour caché et au déduit,
et avec cela il était rusé et fort discret
et modeste d’aspect ainsi que l’est pucelle.
Il avait une chambre en cette hôtellerie,
à lui seul, sans nulle compagnie,
qu’il avait bien joliment parée d’herbes suaves
et lui-même il était aussi doux qu’est racine
de réglisse, ou citoal[1].
Son Almégiste et ses livres grands et petits,
son astrolabe, instrument de son art,
et ses jetons d’algorisme[2] étaient soigneusement placés
sur des rayons posés au chevet de son lit ;
son armoire était toute recouverte de serge rouge ;
et par-dessus le tout était un beau psaltérion
sur lequel il jouait le soir des mélodies
si douces, que toute la chambre en résonnait ;
et il chantait Angelus ad virginem,
après quoi il chantait encore l’air du roi ;
plus d’un bénissait son joyeux gosier.
Et cet aimable clerc passait ainsi son temps
avec la pension que lui faisaient les siens et sa propre rente.
Le charpentier avait nouvellement épousé
une femme qu’il chérissait plus que sa vie ;
elle avait dix-huit ans d’âge.
Jaloux, il la tenait étroitement en cage,
pour ce qu’elle était légère et jeune et que lui était vieux
et qu’il se trouvait mine de cocu.
Il ne connaissait point Caton (ayant l’esprit inculte)
qui vous dit d’épouser femme à votre ressemblance.
On devrait se marier selon son âge,
car jeunesse et vieillesse sont souvent aux prises.
Mais puisqu’il était tombé dans le piège,
il lui fallait subir sa peine, tout comme les autres.
Belle était cette jeune femme, et avec cela
elle avait le corps élégant et allongé comme belette.
Elle portait une ceinture toute rayée de soie
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