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à mauvaise intention, mais que je dois répéter
tous leurs contes, et les meilleurs et les pires,
ou bien altérer partie de ma matière ;
et par conséquent qui ne voudra l’entendre
n’a qu’à tourner la page, et choisir un autre conte,
car il trouvera assez, grandes et petites,
d’histoires traitant de courtoisie
3180 et aussi de moralité et de sainteté ;
ne vous en prenez pas à moi, si vous choisissez mal.
Le meunier est un vilain, vous le savez fort bien ;
et l’intendant aussi, et bien d’autres encore,
et paillardise ils contèrent tous deux.
Considérez cela et me tenez quitte de tout blâme.
Il ne faut non plus faire chose sérieuse de plaisanterie.



Le conte du Meunier.


Ici commence le conte du Meunier[1].


Au temps jadis vivait à Oxford
un riche vilain qui tenait pension,
et de son métier il était charpentier.
3100 Chez lui logeait un pauvre écolier,
qui avait étudié les arts, mais tous ses goûts
étaient tournés vers l’étude de l’astrologie,
et il savait un certain nombre de conclusions
pour répondre à toutes questions,
qu’on lui demandât à de certaines heures
quand on aurait ou sécheresse ou pluie,
ou bien que l’on s’enquît de ce qui adviendrait
en quelque autre affaire, je ne saurais les énumérer toutes.

  1. On n’a pas encore découvert l’original du Conte du Meunier, mais il ne semble pas que ce conte soit plus que les autres de l’invention de Chaucer. De fortes analogies se rencontrent dans des nouvelles allemandes ou italiennes postérieures. La farce du déluge se retrouve dans Nachtbüchlein de Valentin Schumann, 1559 (1er conte de la 1e partie, histoire d’un marchand qui avait peur de la venue du dernier jour). La farce du baiser, entre Absalon et Nicolas, figure dans la nouvelle 49 du recueil de Massuccio di Salerno (vers 1410). De cette même farce il existe aussi diverses versions allemandes plus modernes. Il n’est pas invraisemblable de supposer qu’il y ait à l’origine du Conte un ou deux fabliaux français aujourd’hui perdus.