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Conte du Meunier.


Prologue du conte du Meunier.


Ci suivent les paroles échangées entre l’hôte et le meunier.


Lorsque le chevalier eût ainsi conté son conte,
3110 dans toute la compagnie il ne fut jeune ni vieux
qui ne dît que c’était là une noble histoire
et bien digne d’être tenue en mémoire ;
ainsi surtout pensèrent tous les gens de naissance.
Notre hôte rit et jura : « Parbleu !
voilà qui va bien ; le sac est débouclé ;
voyons qui maintenant nous contera un autre conte :
car vraiment le jeu est bien commencé.
Or ça, sire moine, si vous le pouvez, dites donc
quelque chose pour payer le conte du chevalier. »
3120 Le meunier, tout pâle d’avoir trop bu,
si bien qu’à grand’peine il se tenait à cheval,
ne voulut abaisser capuchon ni chapeau,
ni céder le pas à personne par courtoisie,
mais, du ton d’un Pilate[1], il se mit à crier,
et jura par les bras, par le sang et par les os :
« Je sais un noble conte, et de circonstance,
dont je veux payer le conte du chevalier. »
Notre hôte vit qu’il s’était enivré d’ale
et dit : « Arrête, Robin, mon cher frère,
3130 quelqu’un de mieux que toi nous en dira d’abord un autre ;
arrête, et procédons par ordre.
— « Par l’âme de Dieu, (dit-il), je n’en veux rien faire,
car je prétends parler, ou bien je m’en irai. »
Notre hôte répondit : « Parle donc, que diable !
tu es un sot, et tu n’as plus la tête. »

  1. C’est-à-dire du ton de stentor que prenaient les acteurs quand ils jouaient
    le rôle de Pilate dans les Mystères.