Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/118

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qui fait cela ? c’est Jupiter le roi,
lequel est prince et cause de toutes choses,
régissant tout selon sa propre volonté,
dont tout dérive, à dire vrai,
et contre laquelle nulle créature vivante
3040d’aucune espèce ne saurait prévaloir.
Donc c’est sagesse, en mon opinion,
de faire de nécessité vertu,
et de prendre bien ce que ne pouvons éviter,
et nommément ce qui à tous est notre dû.
Et qui se plaint il fait une folie
et est rebelle à celui qui peut tout mener.
Et certes un homme a le plus d’honneur
qui meurt en son excellence et sa fleur,
quand il est assuré d’un bon renom
3050et n’a fait nulle honte aux siens ni à soi-même.
Et plus joyeux doivent être les siens de sa mort,
lorsque plein d’honneur il rend le dernier souffle,
que lorsque son renom est affaibli par l’âge,
parce que ses hauts faits sont tout oubliés.
Donc il vaut mieux pour laisser une mémoire glorieuse
mourir quand on est dans toute sa renommée.
Dire le contraire n’est qu’entêtement.
Pourquoi nous plaindre ; pourquoi avoir le cœur gros
de ce que le noble Arcite, fleur de chevalerie,
3060ait quitté plein de vertu et d’honneur
cette orde prison de la vie ?
Pourquoi se plaignent ici son cousin et sa femme
du bonheur de celui qui les aima si bien ?
Leur en sait-il gré ? Nenni, pardieu ; pas du tout.
Ils offensent et son âme et eux-mêmes ;
et pourtant ils ne peuvent amender leurs désirs.
Que puis-je conclure de ce long argument ?
C’est qu’après le deuil je vous propose d’être joyeux
et de rendre grâces à Jupiter de ses bienfaits.
3070Et avant que nous quittions ces lieux
je propose que nous fassions de deux peines
une joie parfaite, à jamais durable.
Et voyez maintenant ; c’est ici qu’est la plus grande peine,
c’est ici que nous voulons d’abord guérir et commencer.