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Aussitôt donc le duc Thésée fit proclamer,
pour empêcher toute rancœur et envie,
l’égale excellence d’un parti aussi bien que de l’autre
et la ressemblance des deux comme frères.
Et il leur fit des dons selon leur rang
et il les festoya trois jours durant,
et convoya les rois avec honneur
hors de sa ville une grande journée.
Et chez soi s’en retourna chacun par la bonne route.
2740Il n’y eut plus rien que « Adieu, bon voyage ! »
De cette bataille je ne veux plus rien conter
mais parler de Palamon et d’Arcite.

L’enflure prend la poitrine d’Arcite, et le mal
gagne son cœur de plus en plus.
Le sang caillé, malgré tout l’art des mires,
se corrompt et demeure en son sein,
tant que saignées, ni ventouses,
ni boissons d’herbes ne peuvent le soulager.
La vertu expulsive, ou animale,
2750de cette vertu nommée naturelle
ne peut évacuer ni chasser le venin[1].
Les tuyaux de ses poumons se mirent à enfler
et chaque nerf de sa poitrine du haut en bas
est gâté par venin et corruption.
Rien ne lui sert pour garder la vie,
ni vomissement en haut ni en bas laxatif ;
toute brisée est cette région ;
nature n’a plus domination.
Et certes, quand nature ne veut agir,
2760adieu, médecine ! portez l’homme à l’église.

En fin de compte Arcite devait mourir.
C’est pourquoi il envoie quérir Émilie
et Palamon qui était son cousin cher ;
puis il parla ainsi qu’allez entendre :
« En rien ne peut la pauvre vie qui reste en mon cœur

  1. La médecine comptait trois vertus ou propriétés communiquées par l’âme au corps : la vertu naturelle, la vertu vitale et la vertu animale. La vertu animale avait son siège dans le cerveau et la vertu naturelle dans le foie. La vertu vitale siégeait dans le cœur.