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BLOOMFIELD (ROBERT).*


La Veuve à son Sablier.



     Viens, compagnon de l’heure solitaire,
Viens, ami, viens, je veux te retourner encor !
Trente fois le printemps a reverdi la terre
        Et glissé ses beaux rayons d’or
Sur mon humble berceau, depuis qu’à la fenêtre,
Ou bien sur le bahut, dans ton cadre de bois,
Près de moi tu te tiens prêt à parler sans voix,
        Lorsque l’on te commande en maître :
De chaque nouveau né, toi, tu vis le début,
     Ta vis aussi quand notre homme mourut.

     Mon œil guettant ton sable quand il coule,
L’a vu souventefois grossir, s’amonceler,
De l’Espérance ainsi l’échevau se déroule.
        Et finit par s’annihiler.
L’Espérance, en effet, amoncelle sa joie,
Ses émois, ses plaisirs, ses rêves de bonheur,
Puis un jour, épuisée, enfante la douleur.
        Et dans les pleurs bientôt se noie ;
Comme d’en haut ton sable en descendant fait creux
     Pour engloutir les jours, les ans, eutr’eux.

     Pendant qu’ainsi tout en chantant je file,
(Mon Dieu ! parfois mon cœur s’épanouit encor),
Tu mesures du temps l’aile sans cesse agile,
        Tu me dis quel est son essor :
De midi je connais par toi lorsque vient l’heure,
Car tu roules toujours, toujours, toujours, toujours,
Quoique silencieux, cahin-caha, les jours,
        Rien ne t’émeut, rien ne t’effleure :
Seulement quand, l’été, je glane dans les champs,
     C’est ton congé, – tu dors quand tu m’attends.

     Comme le vrai talent debout te tenant ferme.
Qu’on te tourne deci, qu’on te tourne deçà,
Du bon emploi du temps tu distilles le germe
        Et sans être plus fier pour ça :