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ne porte guère en voyage. Me voilà seul arrivé à sept heures du soir, le 10 décembre, à l’auberge du Temple de la Sibylle. J’occupe une petite chambre à l’extrémité de l’auberge, en face de la cascade, que j’entends mugir. J’ai essayé d’y jeter un regard ; je n’ai découvert dans la profondeur de l’obscurité que quelques lueurs blanches produites par le mouvement des eaux. Il m’a semblé apercevoir au loin une enceinte formée d’arbres et de maisons, et autour de cette enceinte un cercle de montagnes. Je ne sais ce que le jour changera demain à ce paysage de nuit.

Le lieu est propre à la réflexion et à la rêverie : je remonte dans ma vie passée ; je sens le poids du présent, et je cherche à pénétrer mon avenir. Où serai-je, que ferai-je, et que serai-je dans vingt ans d’ici ? Toutes les fois que l’on descend en soi-même, à tous les vagues projets que l’on forme, on trouve un obstacle invincible, une incertitude causée par une certitude : cet obstacle, cette certitude est la mort, cette terrible mort qui arrête tout, qui vous frappe vous ou les autres.

Est-ce un ami que vous avez perdu ? En vain avez-vous mille choses à lui dire : malheureux, isolé, errant sur la terre, ne pouvant conter vos peines ou vos plaisirs à personne, vous appelez votre ami, et il ne viendra plus soulager vos maux, partager vos